Un petit compte-rendu sur la situation de ces derniers jours en Egypte (Avec mise à jour régulière par un camarade au fil des évènements marquants). C’est sans prétention mais il peut aider à se faire une idée de l’importance des évènements qui s’y déroulent actuellement. Les affrontements ont commencé le 22 novembre suite à la publication d’un décret (du chef de l’Etat et leader des Frères Musulmans, Morsi) qui empêche toute contestation des décisions présidentielles dans l’attente de l’élection d’un nouveau parlement, mais le feu de la révolte ne s’est en réalité jamais éteint depuis le début de la révolution, notamment dans les quartiers populaires et les grands centres ouvriers. Ce n’est que la continuité de ce qui a été entamé fin 2010 contre la dictature du profit.
27-28/11/2012 :
Le QG des Frères Musulmans à Mansoura (grande ville du delta du Nil) est en feu, celui d’Alexandrie attaqué et détruit, les Frères ont évacué. A Moquattam, l’armée, encerclée, protège leur local. Place Simon Bolivar, à Garden city au Caire, violents affrontements actuellement entre jeunes et policiers. A Tahrir, bondée, l’hymne des révolutions arabes résonne à nouveau : « Le peuple veut la chute du régime ». Les participants témoignent d’une ambiance comme en janvier 2011 lors de la chute de Moubarak. Il se dit que si Morsi (leader des frères musulmans devenu président malgré une abstention de plus de 50%) ne tombe pas cette nuit, le mouvement continuera jusqu’à sa chute. Et tous de dire qu’ils ne demandent pas le retrait du texte qui place Morsi au dessus des lois, contrairement à ce qui transparaît ici, ils veulent sa chute et celle du régime. Aujourd’hui les frères musulmans ont annulé la grande manifestation au Caire qu’ils avaient annoncé (dans d’autres villes, elles ont eu lieu même s’ils étaient moins nombreux que les manifestants anti régime).
« 20 minutes » informe ce soir que « des centaines » de manifestants défilent place Tahrir pour demander la résiliation du décret que vient de passer Morsi. Le Point en signale quelques milliers pour les mêmes raisons (par un correspondant sur place qui, sur Twitter, dit le contraire de ce qu’il écrit sur le Point). C’est pas beau l’information à la française ?
– Place Tahrir à 19 H :
https://twitter.com/ElSelhab/status/273472688239038465/photo/1
– Rue Talaat Harba avec des drapeaux rouges, la foule est bloquée par le nombre et ne peut plus avancer vers Tahrir :
https://twitter.com/tarekshalaby/status/273484457867112448/photo/1
– Vidéo des affrontements hier 27/11 à Mahalla al Kubra ( Le Renault Billancourt égyptien avec l’usine Misr – 24 000 salariés) :
http://berthoalain.com/2012/11/28/emeute-anti-morsi-a-D8%A7%D9%84%D9%85%D8%AD%D9%84%D8%A9 mahalla-27-novembre-2012-videos/
– Vidéos des affrontements hier 27/11 au Caire :
http://berthoalain.com/2012/11/28/manifestations-anti-morsi-affrontements-au-caire-27-novembre-2012-videos/
– Et pour ne pas oublier, aussi en Tunisie : Vidéo des affrontements hier 27/11 à Siliana pour le premier jour de grève générale du gouvernorat, en même temps d’ailleurs que d’autres, à Kasserine, Djerba, etc… les grèves des transports, des douaniers, etc. :
A noter qu’il y a aussi des émeutes ouvrières à Bahrein, etc…
Le 28/11/2012 – 10ème jour d’affrontements :
Les rues du Caire se sont vidées de la grande foule mais des affrontements sporadiques ont eu lieu au Caire aujourd’hui autour de la place Simon Bolivar, la place Tahrir et près de l’hôtel Semiramis le long du Nil.
Dans les journaux aujourd’hui (notamment libéraux ou pro régime), des unes et des articles sur le frère musulman lynché par la foule l’autre jour… et seulement quelques mots sur une manifestation au Caire de plusieurs milliers de personnes qui a accompagné le cortège mortuaire d’une jeune militant de l’alliance révolutionnaire populaire socialiste décédé mardi de ses blessures.
Dans la presse internationale, on parle de 200 à 300 000 manifestant la nuit dernière… sur les réseaux sociaux, et parmi ceux qui étaient sur place, certains disent 1 million. On peut supposer que la vérité est quelque part entre les deux. Ce soir, on ne sait pas trop encore mais probablement moins de monde qu’hier. Cependant, le ton donné par la rue (si l’on fait un tour sur twitter on peut s’en rendre compte même en comparant les twitts de certains journalistes et les articles qu’ils écrivent ensuite pour la presse française) depuis dix jours est clairement de faire chuter Morsi et les frères. On doit, pour tenter de saisir ce qui se passe, savoir qui vient manifester. En gros les « libéraux » (petits bourgeois ou bourgeois tout court, fonctionnaires d’État comme des juges, souvent pro Moubarak…) opposés à Morsi, et donc aux frères, principalement sur la question de la « laïcité » et la question des pouvoirs spéciaux que Morsi s’est attribué. Ensuite, des musulmans pratiquants ou au moins affichés comme tels, des femmes voilées et des imams, contre Morsi et les frères (questions sociales et peut-être la question du soutien du gouvernement à Israël – Morsi a fait fermer les frontières avec Gaza et fait même détruire des tunnels – ainsi que le fait qu’il mange dans la main des USA).
Mais tout semble quasiment noyé par la jeunesse, cette génération qui veut clairement faire tomber le régime(depuis quelques jours Morsi est affublé du surnom de Morsillini, on voit aussi apparaître des drapeaux rouges)et dont le mot d’ordre qui est aussi celui de la classe ouvrière (nombreuse en Egypte) se résume à « dégageons tous les petits Moubarak du pouvoir » qu’ils soient militaires, directeurs d’usines (les deux en même temps bien souvent), fonctionnaires ou au gouvernement. Cette jeunesse n’a pas les mêmes repères, on peut le supposer, que la génération Nasser, elle a subi de plein fouet la dégradation sociale et l’islamisation forcée (Saddate et Moubarak l’on imposé, le boulot a été fait par les frères). Ca ne signifie pas qu’ils ne soient pas musulmans ou qu’ils rejettent l’islam, ce n’est pas ce que je veux dire, mais ils rejettent avec rage le système qui est une dictature et dans laquelle les frères musulmans jouent un rôle particulier et déterminant. Cette jeunesse est liée (plus ou moins et c’est ce qui est difficile à déterminer) au monde ouvrier et l’ensemble rêve d’une autre vie.
Tout ceci dans un contexte de grève quasi généralisée depuis des mois (et même depuis le début mais qui a forci ces derniers temps), on compte officiellement dans les 2000 grèves sur les seuls 2 derniers mois. Ces grèves touchent absolument tous les secteurs, des usines aux services publics. Et c’est à ça que font face Morsi et les frères et pour l’instant, malgré toutes les entourloupes, ils n’arrivent pas éteindre le feu.
29/11/2012 :
Tout le monde se prépare pour ce jour où la constitution devrait être votée par une assemblée 100% islamiste (les autres partis ayant déserté l’assemblée constituante), pour vendredi ou est appelé une nouvelle manifestation du « million » baptisée « renonce ou dégage « contre le pouvoir de Morcillini (partagée entre les « grands » partis qui appelant Morsi à annuler son décret et ceux [la masse des manifestants] qui veulent qu’il dégage) et enfin samedi où les Frères Musulmans appellent à une manifestation de soutien au régime en promettant l’enfer à leurs adversaires, en ayant, selon certains, appelé les jihadistes à participer à cette manifestation à leurs côtés. Beaucoup craignent samedi un bain de sang.
A la grande manifestation de mardi, ce qui était le plus frappant pour certains participants, c’étaient les femmes voilées qui criaient contre le pouvoir islamiste, des cheikhs et imams qui faisaient de même, la joie et la fête place Tahrir comme il n’y en avait plus eu depuis les premiers jours de révolution à côté d’affrontements sauvages dans les rues adjacentes.
Et puis du côté des différenciations politiques, les jeunes du Front de Salut Public (qui associe les principaux partis libéraux, des islamistes critiques et les socialistes nassériens du socialisme par en haut) ont rompu avec ce Front dénonçant cette alliance contre nature entre révolutionnaires et anciens partisans de Moubarak.
04-05/12/2012 :
Mardi, le chef du gouvernement et frère musulman, Morsi, quitte le palais présidentiel du Caire sous la pression des manifestants qui tentent de pénétrer le bâtiment malgré les barbelés aux cris de « Le peuple veut la chute du régime » ou « Dégage, dégage ! ».
Les affrontements redoublent de violence à Suez, Alexandrie et dans d’autres grandes villes du pays. De nombreux révolutionnaires sont blessés ou tués par le gaz et les matraques. Des policiers anti-émeutes désertent. Le gouvernement peut difficilement réprimer comme il le voudrait alors que celui-ci tente de prouver aux créanciers et financiers qu’il n’est pas aussi sanglant que son prédécesseur…
08-09/12/2012 :
Morsi vient de reculer, il renonce à son décret du 22 novembre où il se mettait au dessus de la constitution. En même temps il vient de se jeter dans les bras de l’armée en renforçant les pouvoirs de cette dernière et notamment lui confie l’organisation du référendum (Des élections sous contrôle de l’armée, c’est la démocratie directe sans doute). C’est la chose qu’il faut avoir à l’esprit, l’armée détient le vrai pouvoir (elle a en main environ 40% de l’économie du pays) depuis des décennies tout en étant au service du capital occidental, particulièrement des USA. Les frères, complices et en même temps rivaux des militaires, jouent un rôle de contrôle sur la population. Tout ceci a fonctionné (mais pas sans révoltes) du temps de Moubarak et tout ceci ne fonctionne plus. Les frères sont discrédités et conspués, comme les « petits Moubarak », à ce point que sa propre base se détache (en grande partie).
Un taxi sur lequel est inscrit: « interdit aux Frères Musulmans » :
https://twitter.com/merKKur/status/277547321229721600/photo/1
Par ailleurs Morsi fait un geste en direction de l’opposition libérale en retirant son décret espérant par là l’inciter à participer à son jeu du référendum sur la constitution pour diviser le front de ceux qui se battaient contre lui ou contre son décret. Enfin il fait un geste vis à vis des religieux en augmentant de 200% la taxe sur la bière. Là il fait une grosse erreur… En Egypte on adore la bière. Réaction à l’annonce de la hausse de la taxe sur la bière sur twitter: taxe de 200% sur la bière, la presse internationale en grève, voire en lutte, LA GUERRE TOTALE !!! Témoignage d’un journaliste anglais dans un café: Just showed the cafe workers I am at the new taxes. The reaction was a barrage of insults and slurs at Morsi.
Ce serait assez drôle que dans ce pays religieux les prochaines manifestations se fassent au nom de la liberté de boire de la bière. Après les locaux des Frères Musulman brûlés, des rues interdites aux Frères Musulmans et maintenant des taxis, il manque plus que des manifs sur la vente d’alcool libre… Si vous vous ennuyez regardez ce qui se passe en Egypte.
Pour le moment le « Mouvement du 6 avril », un des groupes de démocrates révolutionnaires les plus conséquents, appelle à marcher sur le palais, des jeunes cagoulés bloquent des stations de métro en marque, disent-ils, de désobéissance civile, il y a déjà des Ultras (supporters de foot, en pointe dans les bagarres avec les flics et les milices depuis le début) sur les murs du palais qui jouent de la musique, la garde présidentielle se met en place, on attend la réaction des libéraux après 19 H. En tout cas, il va se passer des choses intéressantes…
11-12/12/2012 :
Après les manifestations d’hier mardi, avec moins de monde que d’habitude semble-t-il, tout le monde prépare la manif de vendredi. Ceci dit, les Islamistes bloquent toujours par la force la Haute Cour Constitutionnelle et certains médias jugés trop hostiles à leur cause (notamment ceux qui ont révélé leurs chambres de torture).
Au niveau du référendum de samedi proposé par les islamistes sur leur constitution ( qui interdit un peu tout) l’opposition libérale a battu des records de crétinisme électoral. Alors que la rue veut le boycott de ce qu’ils considèrent comme une farce, le Front National de Salut, de Baradei, Moussa et Sabbahi, a d’abord dit qu’il boycottait, mais que ses dirigeants participeraient, puis ce matin a déclaré qu’il fallait y participer en votant « non », mais à condition que les juges ne le boycottent pas ( or les juges ont annoncé hier qu’ils le boycottaient) que l’armée en garantisse la sécurité (!), que le dépouillement soit fait le jour même sous contrôle, et qu’il n’ait pas lieu sur deux jours (Morsi pour contrer le boycott des juges qui sont nécessaires pour le déroulement du scrutin a décidé de le faire en deux fois pour avoir suffisamment de juges à chaque fois. Il y a environ 14 000 bureaux de votes et 7 000 juges environ qui se déclareraient prêts à y participer). Comprenne qui pourra: ni boycott, ni participation, mais quand même vote « non ». La droite française est dépassée …
Le discours du dirigeant socialiste nassérien, le Mélenchon local, est un sommet. Il commence par dire qu’il faut boycotter cette farce électorale, parce que les juges le boycottent mais que si les juges ne le boycottaient pas, il faudrait y participer, et que partout où il aura lieu, il faudra voter « non », mais qu’il faut que ce soit un scrutin surveillé, puisqu’il n’y aura pas de juges à ce scrutin pour compter les votes « non » et donc que les juges doivent le surveiller… En conséquence, il faut voter « non ». CQFD. Si vous avez compris vous êtes fort.
Mais Morsi a compris cette capitulation et a aussitôt annoncé que le vote aurait lieu en deux temps pour tourner le boycott des juges et a fait condamné dans la foulée un juge qui avait refusé de juger des manifestants anti-Morsi… Bref, Morsi n’existe que par l’incapacité de l’opposition. Il faudrait dire lâcheté.
En effet, les libéraux qui participent aux manifestations sont, d’après les témoignages, littéralement terrorisés par le peuple des manifestants. Ils ont peur du peuple. Plus peur du peuple que de la dictature. Ils préfèrent presque les Frères Musulmans et leur dictature au peuple des manifestations. Ca rappelle hélas de l’histoire ancienne, quand ces gens-là, les démocrates, se jettent dans les bras de la dictature contre le peuple. Juin 1848…
Bref, les libéraux lâchent les juges en lutte, lâchent les manifestants en lutte, les artistes, les journalistes, et bien sûr les ouvriers. En conséquence, les démocrates du « mouvement du 6 avril » changent de position, appellent aussi à participer en votant « non », même les socialistes révolutionnaires épousent le tournant en expliquant qu’il faut boycotter de toutes les manières y compris en votant « non » ! Quelle honte !! Il existe toutefois un collectif du boycott, qui appelle à venir perturber le scrutin par des manifestations ou tout autre expression.
On peut annoncer le résultat du référendum qui sera donné par les Frères Musulmans qui tiennent les leviers du scrutin y compris le compte des bulletins. En plus ils menacent de l’enfer ceux qui ne voteront pas et aussi, pour les athées, d’amendes de 500 livres Egyptiennes. Donc voila le résultat: plus de 50% de participation et très large victoire du « oui ».
Ensuite quelle légitimité cela aura ? Très faible à mon avis. Dés le lendemain les gens recommenceront à manifester (dans la constitution pour laquelle est organisé le référendum, il y a par exemple l’interdiction des syndicats, rien que ça ! Interdiction de critiquer la religion, aucun droit pour les femmes, etc, etc…).
14/12/2012 :
La Gama’a Islamiya, groupe jihadiste, un peu comme Al Queida, se propose de protéger les bureaux de vote demain. C’est parlant, non ? Un peu comme si les SA protégeaient la démocratie…. Il ne manquerait plus qu’ils soient chargés de compter les bulletins. Obama, les autres du même type et les médias vont-t-il les féliciter ?
Après Alexandrie, de nouveaux affrontements ont éclaté dans les mosquées de Mahalla et Tanta où les imams avaient appelé à voter « oui » au référendum. Les croyants dans les mosquées criaient contre les imams qui incitaient au vote pour les Frères Musulmans. Les affrontements semblent continuer à Alexandrie. Au Caire, c’est calme pour le moment. Tout le monde se prépare pour demain.
De l’électricité dans l’air même à la campagne :
Dans le village d’Aldljmon Centre Kafr El Zayat, à Gharbiya en Egypte, plusieurs centaines de jeunes qui manifestaient ce soir contre la constitution islamiste ont été attaqués par des Frères Musulmans. Nombreux blessés.
D’après une information venant d’une autorité militaire, relayée par le journal égyptien Al Tahrir d’aujourd’hui, l’armée dont bien des soldats sont très proches du peuple, serait en pleine ébullition et proche de l’éclatement.
18/12/2012 :
Le président national de la commission électorale qui doit surveiller le scrutin et compter les votes vient de déclarer qu’il ne pouvait plus assurer son activité parce qu’il était malade et devait se faire hospitaliser !!! Quelle rigolade !! Un de plus dans un hôpital psychiatrique ! On le comprend, le calcul devait lui être difficile quand la somme des suffrages dépasse les 100% et qu’on ne sait plus à quel maître obéir. Et ce d’autant plus qu’une nouvelle association de juges qui avait accepté de surveiller la première partie du référendum le 15 décembre refuse d’assurer la surveillance de la seconde partie le 22 décembre parce qu’il y a eu trop de fraudes la première fois. Le Club des Juges – principal syndicat des juges – maintient lui son mot d’ordre de boycott du deuxième tour. Ce qui fait que la participation risque de tomber très, très, très bas ce jour là et le scrutin tourner à la pitrerie. A tel point qu’on peut se demander s’il y aura un scrutin ce samedi. La farce tourne à la véritable bouffonnerie.
Ce soir les manifestations contre le référendum, la constitution, le « oui », Morsi ou on ne sait quoi, ont commencé vers 18 H. Pour le moment il ne semble pas y avoir grand monde. On le comprend car l’assemblée Constituante islamiste vient de demander au Front de Salut National des libéraux et des socialistes nassériens de se rencontrer pour voir comment ils pourraient faire ensemble une bonne constitution. Ce qui est une manière pour les islamistes de reconnaître leur défaite politique. Mais évidemment, les libéraux les sauvent, en se précipitant au rendez-vous. A l’heure actuelle, ils sont donc en train de discuter. Les égyptiens doivent se dire à quoi bon de participer à des manifestations pour le « non » ou contre les fraudes, puisque libéraux et islamistes sont en train de se mettre d’accord entre eux pour nous pondre une nouvelle constitution sur laquelle on ne pourra rien dire. Que tout se décide sans eux et dans leur dos. La prochaine vague de protestation pourrait bien être très intéressante.
Pour rigoler encore un peu, les islamistes ont annoncé une manifestation samedi pour protester parce qu’un de leurs plus grands prédicateurs, a été séquestré pendant 14 h à Alexandrie dans… sa mosquée parce qu’il avait appelé à voter oui. Ou va-t-on si la population se met à séquestrer les imams dans les mosquées.
Sinon, plus sérieux, une des principales plumes du journal Al Ahram online vient de publier ce soir une tribune où il parle d’un soulèvement ouvrier en cours. A quoi fait-il référence ? Je ne sais pas. A la grève des ouvriers des Tabacs d’Orient qui bloquent le centre du Caire ? A la vague ouvrière de ces derniers temps, ou à son amplification guère visible ces derniers temps mais bien là parce que la presse ne parle plus que des derniers événements politiques ? Mystère.
19/12/2012 :
Après avoir proclamé « la république libre de Mahalla » (le Billancourt Egyptien siège d’une usine textile de 24 000 salariés), ses représentants ont planté une tente devant le palais présidentiel avec inscrit dessus « Ambassade provisoire de la république de Mahalla ». C’est de l’humour mais pas que… Hier soir, il n’y avait que quelques milliers de manifestants devant le palais présidentiel. Aujourd’hui, manifestation de femmes contre la Constitution. Un nouveau syndicat de procureurs qui avait participé au premier tour du référendum vient d’annoncer qu’ils n’organiseront pas le second. Est-ce à cause de cette ronde judiciaire qui tient bon que le FSN, l’alliance des libéraux et des socialistes nassériens, a déclaré qu’elle n’irait pas au rendez-vous de discussion des Frères Musulmans pour revoir la Constitution. Et ils ont ressorti leurs résultats affirmant que le « non » l’avait emporté. Hier ils disaient qu’ils acceptaient la discussion et qu’ils l’avaient d’ailleurs commencée, entérinant par ailleurs le succès électoral du « oui ». Et demain ? Il faut suivre… Ca donne le tournis. C’est compliqué d’être libéral.Un nouveau site s’est ouvert: fuckmorsi. Pas la peine de traduire. De plus en plus de journaux disent maintenant que le « non » l’a emporté à Alexandrie et même à 72% ! Si on additionne au résultat des Frères Musulmans, ça fait une participation de 137%. Là, il faut carrément faire voter non seulement les morts mais les esprits des morts. On comprend que le gars chargé des comptes de bulletins et de la supervision du scrutin se soit fait porter pâle.
20/12/2012 :
Les 23 000 salariés de l’entreprise d’État des Tabacs d’Orient viennent d’obtenir satisfaction après deux jours de grève. Hausse des salaires de 15 à 30%, embauche des 6 000 précaires. Hausse d’une prime de repas de 100%. En échange ils renoncent à demander la tête du directeur. La « République libre du Grand Mahalla » ( le Billancourt Egyptien avec environ 500 000 habitants) vient de construire un Front de Salut Révolutionnaire qui est évidemment une réponse au Front de Salut National des libéraux. Malheureusement je n’en sais pas plus sur cette république de Mahalla. Les journalistes restent au Caire, ou à la rigueur, à Alexandrie.
21/12/2012 :
Affrontements aujourd’hui dans au moins trois mosquées en Egypte, Ismaïlia, Kafr el Sheik et Alexandrie. Les croyants ont pris à partie les prédicateurs qui dénonçaient l’opposition sur ordre du gouvernement. A Alexandrie, manif des islamistes contre la séquestration d’un imam anti « non » dans sa mosquée pendant 14 H. Les contre manifestants anti-Morsi ont chassé les islamistes qui se sont enfui protégés par la police. Ils étaient poursuivi jusque dans les hôpitaux où ils tentaient de trouver refuge: 40 blessés. Les Frères Musulmans sont en train de perdre la seule autorité qu’ils avaient au travers des mosquées. Ils n’ont pas la police, pas l’armée, ils n’avaient que les mosquées.
Les sheiks sont sous les ordres du ministère de l’intérieur. Le gouvernement voulait faire des imams sa police des esprits. C’est en train de foirer. Les gens ne veulent pas que les mosquées soient aux ordres du pouvoir, mais comme le pouvoir ne peut abandonner sa seule source d’autorité, il est probable que les gens finissent par identifier le pouvoir qu’ils détestent aux mosquées qui le défendent. En même temps, sous cette pression, on va sûrement voir des sécessions d’imams comme en Tunisie où une pétition de mille imams demandant à ne plus être soumis au ministère de l’intérieur.
Le pouvoir est isolé. Mais l’opposition libérale avec qui il tente de prendre langue n’a guère de poids car elle est composée de beaucoup d’anciens du régime de Moubarak est pas mal identifié comme tel par une bonne partie de la population.
On voit à nouveau des comités populaires de protection des hôpitaux, écoles, quartiers qui réapparaissent. Avec en plus les gestes symboliques de la république ouvrière de Mahalla qui vire le conseil municipal. Après l’hiver directement l’été.
23/12/2012 :
Trois manifestations en Égypte: les procureurs ( qui menacent d’une grève illimitée) contre le retour du procureur général nommé par Morsi, qui avait démissionné mais qui a repris sa démission, et qui en a profité pour poursuivre en justice un animateur télé pour avoir insulté Morsi et s’être moqué du Coran; manif des journalistes face aux attaques contre la liberté de la presse et l’assassinat d’un de leurs collègues; manif et blocages des routes à Port Saïd pour des attributions de logements puis démarrage d’une grève dans le principal port d’Égypte contre le licenciement de militants qui ont animé la dernière grève. Interview dans la presse d’un des leaders de la principale usine d’Égypte à Mahalla, qui explique que leur but principal est de continuer la révolution en virant leur directeur comme tous les directeurs d’entreprises qui datent tous du temps de la dictature. A part les Frères Musulmans qui reprennent en partie ça, en tous cas qui s’appuient sur ce sentiment pour remplacer certaines têtes par des potes à eux, personne parmi les révolutionnaires ne semble intéressé par cette demande populaire. Ils n’ont que les prochaines élections en tête, alors qu’ils savent que ce n’est que truanderie et compagnie. Ce qui se manifeste, dans les milieux démocrates révolutionnaires, c’est une certaine hostilité voire parfois de la haine, contre les pauvres, les travailleurs, les illettrés, les ignorants et autres personnes qui n’y connaissent rien en politique et qui ont voté « oui » ou qui n’ont pas voté.
Après une tentative d’assassinat du leader du Club des Juges qui boycottait le référendum, les Frères Musulmans qui parlent de virer un certain nombre de juges (toujours en grève) appellent les libéraux à renouer le dialogue pour revoir ensemble ce qu’ils pourraient corriger dans la constitution et souhaitent organiser vendredi une grande journée de la réconciliation. Faut dire qu’ils sont de plus en plus isolés.
Mais El Baradei, un des leaders des libéraux, vient de donner son interprétation du vote « non », « c’était aussi un vote pour la sharia et pour la stabilité » (contre la révolution), les deux thèmes de la campagne des Frères Musulmans. Un rapprochement avec ces derniers ? Ceux qui ont voté « non » – et notamment les révolutionnaires y compris trotskystes – seront heureux d’apprendre qu’ils ont voté pour la sharia et contre la révolution…
Un grand journal égyptien titre sur la victoire de l’abstention et le succès du « oui » grâce aux fraudes en relevant la liste des tricheries. Ce qui est le plus souligné dans les journaux sur les tricheries, c’est que les régions coptes ( à la campagne) ont voté massivement pour le « oui » alors que tout le monde sait que les coptes sont très majoritairement contre. Histoire aussi d’alimenter la guerre de religion et de centrer les oppositions sur ces questions religieuses et pas sociales. Alors que tout le monde s’inquiète des futures hausses de taxes. Dans le milieu que je connais en Égypte, tout le monde, 100%, pense que la victoire du « oui » est très largement du à la fraude. La presse anglaise (The Guardian) explique que Morsi sort, du fait de la faible participation, encore plus affaibli du référendum. La presse américaine souligne le record d’abstentions et le nombre élevé de fraudes. En France on souligne surtout que le « oui » des Frères Musulmans l’a emporté. Histoire de dire que c’est l’hiver islamiste qui continue pour tous ceux qui auraient pu avoir l’impression qu’il y avait un rejet des islamistes, et histoire de justifier au passage le soutien au pouvoir islamiste (élu par le peuple n’est-ce pas ? Où plutôt par les puissances impérialistes ? Va savoir…).
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